Archives de l’auteur : Céline Gargoly

28/08/2014Le social se corrompt

Mohamed, chargé d’insertion dans le secteur jeunesse, qui sillonne les quartiers « politique de la ville » depuis près de 7 ans…

Il est fantastique de voir à quel point le social se transforme et je dirais même se corrompt face au pouvoir et à l’injonction de l’argent. Nous dépendons de ce papier ou de ce métal qui ne coûte rien à produire, mais qui a besoin de lui-même pour se reproduire, car sans argent point d’argent.

Le social se corrompt car lorsque les financements abondent, les obligations de résultats augmentent. A-t-on besoin de nous dire qu’il faut absolument insérer le maximum de personnes ? C’est l’essence même de notre travail… Si ce n’est pas fait ? On baisse la subvention car vous n’êtes pas efficace… On s’occupe des gens, nous savons que nous devons les accompagner dans la réussite de leurs projets mais a-t-on besoin de nous mettre la pression ?

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10/04/2014Qu’est devenu l’éducateur spécialisé ?

Didier Bertrand, éducateur sceptique (ES), directeur critique (DC)

Il est drôle le monde que l’on vit, dans lequel on vit, pas si drôle que ça d’ailleurs car il est souvent triste, voire déprimé, si ce n’est déprimant malgré cette invitation à la positive attitude, à cet optimisme béat que nous vantent ou vendent des hommes de pub. J’ai souvent l’impression de vivre dans un autre monde, d’avoir en mémoire des trucs bien compliqués, tellement compliqués qu’ils me prennent la tête. J’y pense quand je dors et voilà que je me réveille en proie à la colère, à l’énervement, mais peut-être est-ce une forme d’angoisse qui m’envahit. A prêter trop attention, voilà que je suis habité par des tensions dont je ne me libère pas. J’y pense, jour et nuit, sans solutions en perspective.  J’ai l’impression de ne pas être bien doué, d’être maladroit, malhabile, empoté même. Je me demande comment faire alors que nombre d’experts, de commentateurs, d’éditorialistes viennent chaque jour me dire que c’est simple, qu’il suffit de … Ils ne comprennent pas pourquoi je doute alors qu’eux savent, bourrés de certitudes, portés par cet enthousiasme qui sied à l’homme convaincu.

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27/03/2014Traçage : jusqu’où ira-t-on ?

Gilles Cervera, psychanalyste institutionnel, auteur de Le diagnostic participatif, l’Harmattan, 2013

Jusqu’où devra-t-on aller? Sans doute va-t-il falloir encore pousser les logiques de traçabilité, de traçage et de médico-légalisme pour qu’explose aux yeux de tous le ratio entre le temps passé à tracer les faits et gestes et celui à agir. Agir, vs soigner et accompagner !

Nous devrons en passer par une saturation totale des praticiens ne pouvant plus pratiquer ! Nous devrons en arriver à une phase de non-soin, de non-suivi, bref de laisser tomber. D’une radicalité cruelle.

Alors, les qualiticiens et les évaluateurs atteindront à une qualité extraordinaire du soin lorsqu’il n’y en aura plus. Zéro défaut puisque zéro action. Plus d’accompagnement, plus de risques !

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14/03/2014Echapper à l’enfance

Jérôme Voisin, intervenant en thérapie sociale dans les institutions éducatives et sociales

Nous regardons de loin et sommes tentés de condamner certains comportements et attitudes d’une partie de notre jeunesse. Seuls ou en groupe, ces jeunes parlent fort, provoquent, interpellent avec véhémence, voire agressent, dans la rue, le bus, au cinéma, dans la cour de leur établissement scolaire, sur les terrains de sport… et ils sont aujourd’hui garçons mais aussi filles. Ils dérangent et beaucoup d’adultes témoignent d’expériences de gêne, de stress, de colère ou de peur face à ces jeunes. Sentiments légitimes lorsque l’on considère la dangerosité réelle de certains de ces groupes.

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Quelles perspectives d’emploi avec le Caferuis ?

Virginie Fleury, assistante sociale

Ceci est clairement un « coup de gueule » puisque vous nous y autorisez… Celui d’une assistante sociale qui, après trente ans d’exercice de sa profession, a pris un congé de formation pour valider le Caferuis [Certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale] et un Master 1 « Politiques sociales », puis a suivi un DU « Handicap mental » sur ses RTT et deniers personnels.

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03/03/2014La prise en charge éducative en institution spécialisée : histoire d’équilibre et de distance

Christophe Sanguin, éducateur spécialisé depuis 20 ans

La prise en charge éducative en institution spécialisée peut revêtir plusieurs formes selon les outils et moyens mis à disposition et définis par l’établissement, et plus largement, par les associations qui en ont la gestion.

Mon propos se basera sur un fonctionnement que j’ai pu expérimenter pendant une vingtaine d’années en qualité d’éducateur spécialisé et en poste dans différentes structures accueillant de jeunes « déficients » dans le sens large du terme (éventail d’âge et degrés de déficience).

L’outil le plus fréquemment utilisé pour baliser le temps de présence d’un jeune dans certaines de nos institutions est ce qu’on appelle le « groupe éducatif » ou « groupe de vie ».

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14/02/2014« La reconnaissance n’est plus à la mode »

Travailleuse sociale à la recherche d’un emploi, titulaire d’un master en sciences de l’éducation et pratiquant la langue des signes française depuis 6 ans

Juillet 2011. Voilà, c’est fait. Entretiens d’embauche, visite de l’établissement, il ne me reste plus qu’à signer mon contrat, mais c’est bon, je suis officiellement embauchée au sein de ce foyer pour adultes sourds avec troubles associés. Sur le papier, c’est écrit : « Qualité : auxiliaire de vie     sociale ».

Fraîchement sortie d’une année au sein d’une classe bilingue (1) en tant qu’auxiliaire de vie scolaire et mon master (2) en poche, j’arrive pleine d’envies, d’idées, et surtout d’idéaux. J’ai bien appris mon texte (loi 2002-2, loi du 11 février 2005, notion de projets…), mais la mise en pratique se révèle moins évidente. Il faut bien l’avouer, entre la théorie apprise en fac et les réalités du terrain, il y a tout un monde. Mais l’équipe que j’intègre est dynamique, soutenante et très formatrice et me permet de prendre ma place tranquillement.

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Recevoir la colère des parents

Carine Maraquin, psychologue clinicienne en Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile)

Les parents (d’enfants handicapés) sont souvent en colère.

Leur colère est sourde, elle n’entend pas les petits bruits que font les professionnels quand ils veulent les prévenir, prévenir une souffrance, anticiper une étape. Ils se cognent dedans comme s’ils avaient besoin d’avoir mal.

Les parents ont besoin d’avoir mal. Ils cherchent à réparer un sentiment de culpabilité lointain, enfoui, bien caché, installé, ou une autre forme de blessure. Ils ne voient pas que ça les épuise, ils ne veulent pas voir ça, s’occuper d’eux, et puis quoi encore, ils préfèrent être aveugles.

Leur colère est aveugle. Elle s’adresse à tout et tous, elle est totale, contre le handicap, qu’elle voudrait détruire.

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Que sont-ils devenus ?

Victor-Gilbert Faraux, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation.

Educateur spécialisé de formation, j’ai exercé en tant que tel au sein d’établissements éducatifs (institut médico-éducatif, institut médico-professionnel) avant d’intégrer le service de l’aide sociale à l’enfance. A la suite de ces expériences, le désir de repositionner ma pratique professionnelle m’a amené à intégrer l’administration pénitentiaire en qualité de conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). Ce choix, qui, visiblement, était motivé par le souhait d’appréhender un autre cadre juridique, était également lié au constat que nous, équipes éducatives, faisions sur ce que nous estimions être les « limites » de nos interventions. Continuer la lecture

06/12/2013Son pas

Sarah Granereau, éducatrice spécialisée et formatrice vacataire, étudiante en DEIS et master

Boitera ? Boitera pas ? Pas claudiquant ou démarche aisée ? Empêché ou pas ?

En sortant du métro et en laissant Dany prendre le large devant moi, je me demande quel sera son pas : les grandes enjambées habituelles ou le déhanchement qu’il adopte, depuis quelques jours, grimaçant, posant à peine le pied droit, semblant pouvoir perdre l’équilibre, là, n’importe où, disant « Aïe, j’ai trop mal, j’en ai marre ! » ?

Un grand échalas, silhouette interminable prête à chavirer, une branche issue seule du sol mais trop fragile pour résister au vent… Quand il ne boite pas, il avance, un grand pas après l’autre, l’équilibre ne semble pas plus certain. Continuer la lecture