06/04/2016Aider les personnes à… développer des stratégies !

Mettre en oeuvre des stratégies implique de s’appuyer sur des méthodes et outils concrets, défend Brigitte Portal, formatrice à l’ANDPA (Association nationale pour le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectifs).
Le terme de stratégie ne fait pas vraiment partie du vocabulaire des professionnels de la
relation d’aide sans doute du fait qu’il est fortement connoté. En effet, il nous renvoie aux
stratégies sur les champs de bataille ou dans la sphère politique mais aussi aux jeux de
stratégie qui relèvent de tactiques élaborées entre joueurs. Rivalités, alliances, adversaires,
concurrence, autant de mots qui situent la stratégie dans un rapport de force entre les
individus et qui font aussi référence à la notion d’influence voir à l’idée de manipulation en
totale contradiction avec les principes du travail social.

Un terme présent dans les référentiels et orientations du CSTS 

En effet, depuis 2004 dans les référentiels de compétence des professions du travail social en
particulier chez les assistants de service social, il est demandé de « savoir mettre en oeuvre des stratégies (environnement, ressources, contraintes…) » (1). En 2007, le Conseil supérieur du travail social (CSTS), dans l’un de ses rapports (2), insiste également sur « l’alliance nécessaire » entre le travailleur social et la personne accompagnée. Ce terme d’alliance est un concept développé par le philosophe Paul Ricoeur et aussi utilisé par ATD Quart Monde (les alliés sont les bénévoles qui accompagnent les personnes en situation de grande pauvreté). Pour le CSTS :
« C’est un processus créateur qui permet le partage et l’échange » (3).


Selon cette conception, on pourrait dire que l’approche stratégique s’appuie sur une posture
d’alliance avec les personnes accompagnées. L’intervenant aurait moins à lutter contre les
institutions qu’il ne s’allierait aux personnes contre l’injustice sociale car « instaurer des
pratiques d’alliance avec les populations pauvres, c’est vouloir qu’elles deviennent partenaires de l’action sociale » (4).
Au delà même de la notion d’alliance, le dernier rapport du CSTS invite les travailleurs sociaux à « refonder » leur rapport aux personnes accompagnées (5). Il ne s’agit plus seulement d’écouter les personnes mais d’entrer en « résonance » avec elles. Contribuer à créer les conditions pour qu’elles puissent être entendues et agir sur leur environnement plus qu’ « être avec » c’est clairement « être de leur côté » (6).

Mais concrètement une fois que l’on est d’accord le principe, sur quoi peuvent s’appuyer les professionnels pour aller dans ce sens ? Selon l’orientation promue par le CSTS, il existe un intérêt certain à s’appuyer, tout au long du processus de la relation d’aide, sur des démarches stratégiques vis-à-vis d’un ensemble d’acteurs afin de créer des marges de manoeuvre. Celles-ci relèvent de méthodologies d’intervention qui font référence, par exemple, à l’approche systémique, la sociologie des organisations, ou l’approche centrée sur le Développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectifs (DPA PC).

De quelle stratégie parle t’on ?

C’est un terme qui vient de l’armée – du grec stratos (armée) et ageîn (conduire) – donc bien
loin du travail social. Le stratège est le chef de l’armée, il élabore et met en oeuvre un certain
nombre d’opérations pour remporter des victoires.
Nous retenons cette définition : « qui donne un avantage décisif (contre un adversaire économique) » (7). Etre stratège c’est envisager comment s’y prendre au mieux pour obtenir ce que l’on vise.
C’est aussi regarder, examiner ce que l’on peut faire et les conséquences des actes posés.
C’est anticiper, se préparer à l’avance à des options, des éventualités. Le stratège va imaginer
des hypothèses, construire des scénarios, en savoir plus sur les acteurs concernés, envisager
leurs liens, leurs rapports, leurs enjeux.
Mais vigilance, dans la relation d’aide, la stratégie ne doit pas conduire à la manipulation
(amener l’autre où il ne veut pas aller ou comme son origine l’indique « prendre en main »/
« faire jouer entre les doigts »). Car celui qui va l’utiliser dans la relation d’aide, est amené à tenir compte de l’autre et des autres pour aller là où la personne accompagnée veut aller. La stratégie mise en place est à son service.
Pour produire du changement, l’intervenant va intégrer le point de vue de l’autre, entrer dans
sa logique. Dans la recherche de solutions, il va chercher à inclure les enjeux des différents
acteurs concernés. Ce qui va également lui permettre de créer des alliances et de ne pas rester
seul avec le problème.
Développer des stratégies avec les personnes amène à se questionner sur des façons de faire
qui vont aller dans le sens de ce qui est important pour elles. La stratégie relève d’un certain art de s’y prendre où intervenants et personnes accompagnées vont faire équipe dans le but de résoudre un problème, dépasser un obstacle ou améliorer une situation.

Développer des stratégies pour faire bouger le système

Toutes les approches qui amènent à penser l’aide en terme de stratégie à développer avec les
personnes accompagnées me paraissent représenter des alternatives pour les praticiens qui se
trouvent bloqués dans certains accompagnements ou qui estiment que leur travail ne consiste
pas uniquement à faire bouger les personnes mais aussi à pouvoir agir sur d’autres acteurs qui
font partie du système. Comme l’écrit cet auteur, « Nous lui préférons donc les stratégies
permettant d’agir, de travailler, de transformer et reposant moins sur le combat frontal que sur
l’interprétation et l’analyse, moins sur la guerre de position statique que sur le déplacement, le
mouvement. Et ce pour des raisons pragmatiques, car ces méthodes sont plus efficaces » (8).
Les intervenants ont besoin de s’appuyer sur des méthodes et d’acquérir des outils concrets leur permettant de mettre en oeuvre ce type d’intervention. Mon expérience de formatrice témoigne au quotidien de pratiques sociales qui, dans des cadres contraints et face à des situations qui paraissaient bloquées, font émerger des marges de manoeuvre pour le professionnel mais aussi pour la personne accompagnée rendant l’action possible.

(1)  « Savoir mettre en oeuvre des stratégies », Référentiel de compétence ISAP, DEASS, 2004.
(2) « »L’usager au centre du travail social » (2007).
(3)  Bouquet B. « L’ISIC au service de qui ? », « ISIC et marges de création », champ social (2013).
(4)  De Robertis C. « L’ISIC de la personne au territoire », EHESP (2008).
(5)  Voir   ASH n°2898 du 20-02-15,  » Un nouveau paradigme, le travail social « en résonance ».
(6)  D’après la philosophe Sylvie Quéval.
(7)  Dictionnaire Robert.
(8)  Gravière Lilian, « Résister, transgresser, expérimenter »  – Recherches éthiques à l’usage des formateurs en travail social – VST – Vie sociale et traitements, 2012/2 n° 114. 

Une réflexion au sujet de « Aider les personnes à… développer des stratégies ! »

  1. GRAVIERE Lilian

    Merci Brigitte pour ce bel article, très juste, qui nourrit une réflexion ô combien stimulante !

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