06/11/2015Vague de solidarité avec les migrants et travail social

La vague, nouvelle et inespérée, de solidarité à l’égard des migrants fait bouger les lignes à différents endroits, dont celles des frontières entre la part du secteur associatif, professionnel et militant, déjà promoteur de cette solidarité, et le reste de la société, explique Olivier Daviet, psychologue au Relais Ozanam et vice-président de l’association Le Caméléon.

 

D’un côté, des citoyens qui n’ont pas forcément une histoire d’engagement politique ou social mais qui se trouvent de plus en plus régulièrement sidérés par les monceaux de cadavres repêchés en Méditerranée, concernés par le déferlement de personnes fuyant des situations invivables, inquiétés par l’instrumentalisation de la haine par les partis de droite et d’extrême-droite et chez qui la photo d’un enfant venu mourir sur les plages européennes a fait déclic. Une cartographie de ce groupe non-homogène de personnes nouvellement investies méritera sans doute d’être établie afin de mieux comprendre ce qui a créé la bascule. Sans doute pourrait-on qualifier leur démarche ainsi : à situation perçue comme exceptionnelle, comportement exceptionnel.

De l’autre un secteur associatif, incluant des bénévoles en lien direct avec des migrants précaires, d’autres bénévoles portant les structures associatives faisant (plus ou moins officiellement) fonction de service publique ainsi que des professionnels salariés de ces structures. Ce secteur a vu ces dernières années la situation des migrants précaires se détériorer à tous points de vue, en même temps que des discours accusateurs à l’encontre de ces populations prendre pignon sur rue. La nature – fondamentalement exposante – des pratiques, les contraintes budgétaires et juridiques de plus en plus drastiques ainsi que la détérioration des regards portés sur les publics accompagnés font bien souvent baigner ces acteurs dans un quotidien d’impuissance.

Ledit secteur – pour le moins échaudé donc – semble porter un regard circonspect sur cette  récente vague de solidarité. On peut y observer des postures frileuses, voire y entendre des procès en amateurisme à l’égard des personnes récemment actives dans ce champ. Il y a là un boulevard à la rivalité…

  Certes nous vivons toujours dans la société du spectacle, celle du « temps réel » et du zapping, celle de la gouvernance par l’émotion et il est de notre responsabilité de conserver du recul. Que se passera-t-il quand les migrants ne feront plus la Une de media principaux, quand on se sera finalement (ré)habitués à leur agonie à nos portes ? Un autre sujet sensationnel pourrait venir alimenter les conversations, provoquer le débat, mobiliser les citoyens…

   Et pourtant, quelque chose est peut-être en train d’évoluer sous nos yeux, une nouvelle dimension à la mondialisation s’impose et on n’imagine ni les migrants refaire leur périlleux trajet à l’envers, ni le monde se re-fractionner. Il est indéniable que nombreuses sont les personnes sensibles à ces questions et qui cherchent à s’y sensibiliser davantage, voire à œuvrer à une amélioration de la situation. La légitimité des « pros » n’en est pas pour autant menacée. Rappelons au passage que les institutions de solidarité sont issues des mêmes mouvements de « prise de conscience » et que, paradoxalement, le travail social œuvre quotidiennement à sa propre disparition (quand tous les problèmes « sociaux » seront résolus, les institutions dédiées se dissoudront…). Ne pas fermer la porte à de nouvelles formes de solidarité, accueillir les nouvelles bonnes volontés oblige à se décaler d’un discours de plainte jusque-là davantage justifié, celui du « tout le monde s’en fout ! »

Construire la complémentarité

Les professionnels ou les engagés de longue date auprès des migrants précaires ont une expérience à partager. Côtoyant des personnes dans ce type de situation, nous savons combien ces pratiques peuvent être imprévisibles, décevantes, effractives. Dans le même temps, nous pouvons également témoigner de l’intérêt que nous trouvons, de la richesse que nous y puisons, au point d’y consacrer une bonne dose de notre énergie.

Des personnes ou des collectifs volontaires pour héberger ou accompagner les nouveaux migrants (figurant, chose nouvelle, une figure de « bon réfugié ») sollicitent les associations en place pour être mis en contact, pour savoir vers où diriger leur énergie. Peut-être voit-on se dessiner des formes inédites de la solidarité…

Comment partager une expérience qui vienne nourrir les pratiques des autres sans les étouffer, comment étayer sans chercher à contrôler ? Comment les structures instituées peuvent concrètement intégrer une nouvelle mission d’aiguillage, d’accompagnement des accompagnateurs, de support, voire de coordination ?

 

Il y a là un nouvel enjeu à nos pratiques et à nos engagements, une possible évolution appelée de nos vœux et de longue date, à côté de laquelle il serait fort dommage de passer…